Artefact

Etant donné un mur…

« A la lisière de l’Europe », sur trois îles d’Irlande, se trouvent de remarquables labyrinthes de murs de pierre sèche estimés à 2 500 kms de long. Ce dense réseau de murs érigés pierre à pierre au cours des siècles par des bâtisseurs anonymes, ce patrimoine architectural unique, expression de modes de vie, de savoir faire, d’histoire et de mémoire, de croyances et d’aspirations, d’imaginaire et de symbolique, s’impose comme un « fait de l’art ». Un artefact.

Paradoxalement, dans cet univers complètement minéral, les fragments de murs les plus expressifs sont à mes yeux comme autant de personnes que j’aurais rencontrées. La nature de la pierre, son grain, sa texture, le rythme de sa mise en œuvre confère aux murs autant d’identités, de personnalités singulières dont je fais le portrait.

Cependant, à force d’y revenir, je vois dans ces constructions une analogie avec l’univers musical. Dans la déclinaison de ces murs on trouve des éléments constitutifs de la musique contemporaine : des rythmes, des cadences, des variations, des strates, des hauteurs, des formes, des rapports de masse. On y identifie des silences, des respirations, des accélérations, des irisations… tout un spectre sonore parfois strident, parfois mutique, toute une dynamique de mezzo forte, de forte-piano, de crescendo et de glissandi. Le matériau minéral peut y prendre l’aspect de la granulation dans la musique électro-acoustique. Le mode séquentiel évoque la musique sérielle. La composition répétitive et linéaire du mur l’apparente à une partition musicale avec ses barres de mesure. Des convergences qui pourraient déboucher sur une création sonore autonome qui ne serait pas illustrative mais dont les murs constitueraient la partition.

Agnès Pataux